« Le Journal d’un Fou » compte parmi les nouvelles les plus étonnantes avec « Le Nez » et « Le Manteau » écrites par Gogol, l’auteur que Nabokov considère comme le premier poète en prose de la littérature russe.
Pour échapper à une existence misérable, étriquée, Auxence Ivanovitch Poprichtchine, petit fonctionnaire pauvre de Saint-Pétersbourg, relégué dans les basses besognes, se réfugie dans l’illusion. Ne rencontrant aucune barrière dans la solitude, aucune présence dans cet univers impersonnel, l’illusion grandit et se substitue peu à peu à la vie réelle.
C’est le thème romantique du divorce entre le rêve et la réalité, mais c’est le moins romantique, le plus dépouillé, le plus linéaire de tous les récits de Gogol, dont il est possible qu’il fût tout particulièrement doué pour ce thème, destiné qu’il était lui-même à sombrer dans la psychose vers la fin de ses jours.
Evocation purement intuitive dont les images n’ont rien perdu de leur force, « Le Journal d’un Fou » met en relief par la négative, l’aspect bouffon, voire monstrueux, des relations humaines telles qu’elles sont codifiées. Inutile de gloser sur l’ « actualité » de la vision gogolienne à l’époque où les Tchitchikov des « Ames Mortes » gouvernent toutes les Russies. Mais relevons en revanche l’admirable cohérence du soliloque de Poprichtchine et la densité des émotions du personnage qui traduisent et révèlent aujourd’hui encore et plus que jamais, dans une approche universelle, les tourments, les angoisses et les questions fondamentales qui agitent l’âme humaine.